Renouer avec le leadership américain

Le mois de décembre nous offre chaque année l’opportunité de prendre un instant pour réfléchir à ce que nous enseigne le passé, et à ce que nous réserve l’avenir. L’une des conclusions de l’année qui s’achève réside en ce que les États-Unis demeurent aujourd’hui solidement ancrés au cœur de l’ordre mondial libéral. Autre enseignement, il est nécessaire que l’Amérique s’attelle davantage à gouverner dans la lignée de ce qu’exige sa carrure internationale.

Les doutes sur la pérennité du leadership américain se répandent depuis plusieurs années. Mais bien que se profile à l’horizon ce nouvel ordre mondial multipolaire que beaucoup évoquent, la réalité veut que pour l’heure les efforts de résolution des défis globaux – qu’il s’agisse des changements climatiques ou du conflit au Moyen-Orient – nécessitent l’implication des États-Unis.

Malheureusement, le discours faisant état d’un déclin américain a été si massivement formulé ces dernières années que les dirigeants américains eux-mêmes semblent avoir commencé à y croire, poursuivant des politiques fébriles et parcellaires (voire, dans certains cas, ne prenant aucune mesure). Or, l’approche modérée appliquée par le président Barack Obama en matière de politique étrangère semble alimenter l’instabilité mondiale plutôt que l’atténuer.

Les raisons d’un tel manque de mesures fortes suscitent le débat. Certains reprochent à Obama la crainte de reproduire les erreurs de ses prédécesseurs ; d’autres expliquent cette inaction par la présence d’un Congrès hostile, face auquel le président américain aurait les mains liées.

En réalité, il est probable que ces deux facteurs interviennent. Il est tout à fait possible qu’Obama privilégie la prudence – même lorsqu’une intervention audacieuse est nécessaire – par rapport à une action impulsive et susceptible de provoquer encore davantage de dégâts. Pour autant, l’impact négatif exercé par un Congrès américain obstructionniste et fortement politisé ne doit pas être sous-estimé. À titre d’exemple, en faisant obstacle aux réformes de gouvernance du Fonds monétaire international convenues en 2010, le Congrès a endommagé, et peut-être irrémédiablement, la légitimité et le poids des institutions de Bretton Woods.

De même, en refusant de ratifier la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, le Congrès américain a mis à mal la crédibilité de l’Amérique à l’heure où le pays s’efforce de réaffirmer la primauté du droit international en mer de Chine méridionale, où les dirigeants chinois se comportent avec une audace grandissante. Enfin, en s’opposant à l’inclusion d’engagements climatiques juridiquement contraignants, le Congrès a fragilisé l’accord climatique mondial conclu ce mois-ci à Paris, laissant planer une incertitude sur le respect et la mise en œuvre de cet accord.

Ces dernières années, l’impasse est devenue monnaie courante dans le jeu de la politique américaine. C’est la raison pour laquelle l’élection présidentielle de l’an prochain revêt une importance aussi cruciale. Elle offre en effet l’opportunité d’un nouveau départ, d’une nouvelle approche susceptible de produire le genre de mesures politiques qu’exige aujourd’hui le monde. Le mot d’ordre devra être l’engagement – parmi les différentes branches du gouvernement américain, entre le gouvernement et l’opinion publique, ainsi qu’entre les États-Unis et le reste du monde.

Pour commencer, si le prochain président entend éviter l’obstructionnisme des huit dernières années, il ou elle devra s’impliquer activement et directement auprès du Congrès. En effet, deux des dernières victoires de l’administration Obama – octroi de la fameuse autorité permettant de promouvoir le commerce (autorité de négociation rapide visant la conclusion du Partenariat transpacifique) et réautorisation de la modeste mais indispensable Export-Import Bank – ont été le fruit d’efforts poussés, d’une véritable pédagogie, et certes de cajoleries auprès des législateurs.

L’accord nucléaire iranien, un des accomplissements majeurs d’Obama, a nécessité des efforts similaires de persuasion auprès du Congrès, qui ont vu les membres de l’administration Obama se déplacer longuement au Capitole afin d’établir une approche permettant aux législateurs d’exprimer leur mécontentement à l’égard de l’accord, sans pour autant entraver sa progression. Au sein même d’une atmosphère politique américaine extrêmement divisée, il semble que tout soit possible dès lors que la volonté est présente.

Le prochain président des États-Unis devra également renforcer son implication auprès des citoyens, dont la désaffection généralisée oblige – ou permet – aux dirigeants américains de mener une politique étrangère fébrile. À l’instar de nombreux Européens d’aujourd’hui, la plupart des Américains ne semblent pas comprendre – ni même chercher à comprendre – combien l’effondrement de l’ordre mondial libéral aurait pour chacun d’entre eux des conséquences désastreuses.

La situation n’a pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les souvenirs du conflit, combinés à la menace durable que représentait l’Union soviétique, rendaient évidente la nécessité de bâtir et de préserver un ordre mondial libéral. Aujourd’hui, bien que cette nécessité soit tout aussi considérable, l’argument semble loin d’être aussi compréhensible, ou aussi puissant sur le plan émotionnel. Toute discussion autour des règles et des institutions ne semble plus susciter l’intérêt. Il appartient désormais aux dirigeants politiques – et en particulier aux chefs d’État – de trouver le moyen d’exprimer avec force ce qui est en jeu.

Seule une telle approche pourra conférer au prochain président des États-Unis la légitimité populaire indispensable pour mobiliser efficacement les autres dirigeants mondiaux. Et ne nous y trompons pas : cette mobilisation est vitale. Car s’il appartient à l’Amérique de faire partie intégrante de la résolution des défis mondiaux, allant du dénouement de la guerre civile syrienne au respect des promesses prévues par l’accord climatique de Paris, elle ne pourra y parvenir seule. Une coopération véritable sera essentielle à toute avancée réelle.

Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, l’Amérique a prouvé combien un leadership engagé pouvait contribuer à garantir une stabilité et une prospérité généralisées. En ce début de XXIe siècle, elle a démontré à quel point l’absence d’un tel leadership pouvait se révéler dévastatrice. Les querelles intestines ne résoudront rien. C’est seulement en faisant preuve d’une implication véritable, profonde et durable, sur le plan intérieur comme à l’étranger, que la prochaine administration pourra veiller à ce que les prochaines années soient meilleures que les précédentes.

Traduit de l’anglais par Martin Morel